Raconte-lui

Et puis il y a eu un jour particulier, j’avais quatorze ans, je m’en souviens comme si c’était hier. On était seuls à la maison, au milieu d’un après-midi de juin. Chahid s’est levé, sans rien me dire, il est allé fermer la porte, il est revenu s’asseoir à côté de moi et il m’a dit « arrête un instant, veux-tu ? »

L’autre maison

Sur l’annonce, le propriétaire avait publié une série de photos ; surtout de l’intérieur, mais quelques unes aussi de la façade et du jardin. Le jardin correspondait : mêmes massifs de fleurs, mêmes arbres. Mais la maison était différente. En la voyant, Marc avait pensé à un crapaud. Un gros crapaud assis dans l’herbe. Crépis abîmé, couvert d’une mousse verte pourrie par endroits, fenêtres sales donnant sur un intérieur noir, et toit très bas en tuiles grises.

Une chouette soirée

C’est un grand bonhomme, gros et moche, avec pas de cheveux sur la tête et des lunettes de taupe, comme dans les histoires. Quand il parle il fait tout le temps les gros yeux comme ça, avec les sourcils et la voix qui fait peur.

De très belles mains

Tout est la faute de ce petit con de Soterini.

Le gamin avait à peine dix-huit ans, le genre binoclard, fils à papa qui finit la tête dans les chiottes à la récré, mais quand il s’asseyait au piano, il te jouait la sonate de Liszt comme s’il allait réveiller les enfers. La sonate de Liszt, l’unique, ce monument que je n’ai jamais pu maîtriser de bout en bout, lui te l’éclairait et l’animait d’une force qui te collait au sol.

Métamorphoses

Car sa tête n’était plus sa tête. Brute, massive et lourde, couverte de poils épais comme des câbles électriques, dotée de petits yeux noirs enfoncés dans des replis de chair glabre, sa tête était maintenant le crâne déformé, la gueule cauchemardesque d’un énorme sanglier.

Les oiseaux

Sur une vidéo, on voit l’horizon noircir. Le caméraman semble installé sur un promontoire, au-dessus de la foule, et il ne cesse de répéter « Mon Dieu, mon Dieu, oh mon Dieu ». Le ciel tourne à la nuit, la foule se jette à l’eau. « C’était une heure du matin, dit quelqu’un. Quand l’Australie a disparu.
—Pas juste l’Australie, dit un autre. Le continent entier. »

Marisa

J’ai l’air d’une cinglée complotiste quand je parle comme ça, mais enfin… Les immeubles autour de nous, les maisons, les trains, des milliards d’individus dans le monde… Tu ne t’es jamais demandé si tout ça n’était pas qu’un décor ? Un décor destiné à t’abuser toi, précisément ?

Sinnerman

Sans faire seulement mine de ralentir, elle empoigna sa robe et la retroussa jusqu’à la taille. Un pistolet de petit calibre était fixé à mi-cuisse par une bande élastique, cadeau de Nathan après cette soirée où un fan avait tenté de la poignarder dans sa loge. Elle le délogea, arma le chien et le braqua directement sur le visage de Yanis.

Le cheval révolté

Un matin, le cheval de Mathieu Santucci cessa de s’alimenter. Pollux, c’était son nom, n’avait montré aucun signe avant-coureur. Rien n’avait préparé à un changement de comportement. Simplement ce jour-là, quand Mathieu entra dans le box avec un plein seau de granulés spéciaux, le cheval d’ordinaire si empressé refusa d’y toucher. Il n’en approcha même pas les naseaux. Mathieu se déchargea du seau et cala ses poings sur ses hanches.

Les dernières cendres

Pour respecter l’incompréhensible dernière volonté d’Emilie, sa compagne décédée, Jad se prépare à répandre ses cendres dans un fleuve, depuis un pont qu’elle lui a désigné. Mais plus le moment approche, plus il hésite : ce lieu anonyme ne lui évoque rien. Epuisé par la peine et le deuil, il ne peut se résoudre à…